samedi 31 janvier 2009

Roman aléatoire

Un monde de ferraille et de ciment entourait Sacha comme un cocon. Depuis son enfance, cet univers lui paraissait vide de sens, distant et impersonnel, comme si au détour d'une ruelle la ville n'hésiterait pas un instant à la sacrifier. Ce n'était pas comme Lille une ville de promesse et de rencontres, Mulhouse était détachée de toute chaleur, sa surface polluée d'une grisaille permanente qui ajoutait au ciel sombre une touche de désespoir. Sacha était consciente de la ville comme elle l'était de ses mains, froides et insensibilisées. La grande étendue de bitume ne pouvait se résoudre à la métamorphose tant son atmosphère était gangrenée par le froid, mais en réalité peu d'habitants réalisaient la laideur de leur ville puisque celle-ci avait la capacité inouïe d'ôter tout regard critique qui pourrait la déprécier aux yeux de ses hôtes. Pour Sacha qui avait vu bien des villes, Mulhouse lui apparaissait en ennemie complète. Rien ne la retenait ici et pourtant l'atmosphère apocalyptique de cette ville l'envoûtait entièrement, car comment ne pas s'ériger en chanceuse tandis que Mulhouse représentait déjà ce que serait le monde plus tard, un chaos de roches brisées et de noirceur, loin des vastes forêts de nos contes d'enfance. Sacha aimait paradoxalement cette ville non pas parce qu'elle était belle, car elle ne l'était absolument pas, mais parce qu'en son sein vivait toute la communauté underground de la France. Depuis les années 1980 chacun venait y trouver son squat, son étage délabré pour en faire son monde, son microcosme personnel. Le Nouveau Monde, comme les échos de Marco Polo nous le rappelait dans Le Livre des Merveilles, les hommes l'avait détruit, pillé et violé et depuis le XXème siècle ni archéologues ni géographes ne pouvaient plus se vanter d'avoir découvert quoique se soit, et c'est vers les Sciences et la Médecine que les chercheurs trouvaient maintenant de quoi s'ériger en génie. Le monde n'était plus rien qu'une carte répertoriée dans nos livres ou accrochée en map monde sur nos murs. Sacha en avait eu une jusqu'à ces vingt ans, fièrement pendue au dessus d'un bureau sur lequel elle passait de nombreuses heures à écrire et étudier, jusqu'au jour où elle s'était aperçue que c'était vers les bas fonds que son regard se portait. Rien que l'obscurité et les mystères de l'inconscient, à l'abandon des voyages hors de France. Une telle rupture, Sacha ne s'y était pas attendue, elle qui avait toujours pris soin de régler ses voyages avec soin et ferveur, "Plus que deux jours avant le départ, plus que quatre heures..." jusqu'à l'immuable fin et le départ vers l'au-delà, un au-delà si peu exaltant en fin de compte. La mort, car ce thème universel, ses multiples interrogations, elle ne les trouvait plus à leur place sous le soleil de Tunisie ou sous la pluie de Finlande, et rien ne pouvait plus l'encourager à trouver dans ces pays ce qu'eux-mêmes n'avaient jamais contenu, la descente aux Enfers. Vaste sujet que celui-là, exploré et traité par tous les grands esprits du monde d'aujourd'hui et d'autrefois, ainsi que pouvait-elle apporter de plus que ces discours savants et rabâchés? Sacha ne voulait plus comme tant d'autres parler de ces choses inaltérables que sont la mort et le moi, tous ces débats, tous ces écrits hélas ne faisaient que susciter une soif incommensurable, et elle aurait voulu haïr ces philosophes qui au lieu d'apporter le soulagement et le contentement, ne faisaient que la poussée dans les abysses d'une curiosité malsaine.

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