samedi 10 janvier 2009

Brrr, tremblez mortels. Le partiel est passé, petit retour sur le Gothique en Littérature

Le Romantisme Noir (à travers la littérature) et le Mouvement Gothique, par Ombeline Duprat.

Il s’est à peu près tout dit sur le “mouvement gothique” et ce depuis les années 80, décennie à laquelle tous s’accordent à faire naître ce terme. Des laïus, lapsus, critiques et louanges. Les journalistes des quotidiens s’enflamment dès lors qu’apparaît le mot gothique où l’amalgame du satanisme revient de manière récurrente. Les clichés sont véhiculés par des professionnels peu scrupuleux, s’emparant de l’image d’un Manson déluré pour en faire le porte-parole d’un mouvement de dégénérés nazis, histoire de donner une part de frisson au grand public qui n’attend vraisemblablement des médias qu’à être choqué.
Le mouvement gothique a trop longtemps été acculé, pris à part comme une secte et non jamais comme une philosophie de vie ou un état d’esprit particulier. La question du mouvement gothique est à la fois facile et complexe. Facile car on en connaît les bases mais encore faudrait-il en connaître les fondements, s’ils en sont. Cet article étudiera le contexte de création de ce mouvement, quels en étaient les prémices et de quelle manière il se manifeste aujourd’hui.
Mais voyons d’abord à travers la littérature comment se définit le romantisme noir qui est l’une des caractéristiques du mouvement gothique dans son sens noble (nous ne parlons pas ici de “gothisme” qui est une aberration.)
Littérature Gothique et Romantisme Noir
Au commencement…
Aux sources de tout, le “Roman Gothique” auquel on associe bien souvent la plupart du temps Le Fanu ou Lewis avec les sémillants Carmilla et Le Moine. Et pourtant le terme de “Roman gothique” remonte au XVIIIème siècle, en Angleterre encore, selon la dénomination de l’excentrique Horace Walpole (1717-1797) dans un roman intitulé Le Château d’Otrante : A Gothic Story qui posera les jalons fondamentaux de ce genre littéraire.
Il faut prendre le temps de décortiquer quelque peu cet ouvrage paru en 1764 pour bien comprendre les bases du “gothic roman”. L’ouvrage se présente comme une chronique (rappelons que l’époque médiévale a beaucoup influencé la fin du XVIIIème et le XIXème siècle dans le sens où on redécouvre cette période dite barbare et d’obscurantisme. Les chroniques comme celles écrites par Jean Froissart furent un tremplin pour l’imagination débordante et romanesque des gens de l’époque.) Et le texte fleurte avec la légende tandis que l’espace est occupé tant par la description de ruines, château et toutes sortes de lieux dits “romantiques” mais également de lieux spatiaux avec la présence de l’Orient, l’Italie, l’Espagne1. La présence de thèmes récurrents tels que l’amour, la sexualité, la mélancolie et le pouvoir sont au coeur du sujet. Il s’agit là de ce qui régit la vie de l’être humain et le mène aux affetis ou inversement, à transgresser la loi. L’image du héros tourmenté, en proie à ses sentiments et à sa conscience, sera l’occasion pour écrivains et peintres de débattre sur la nature profonde de l’humain et d’enchaîner sur la transgression tant morale que sexuelle et tout ce qui conduit l’homme dans l’abîme. Les héros de ces livres sont toujours livrés à leur destin, contemplant leur avenir brisé dans la nature silencieuse, au clair de lune ou à l’aurore. Nous avons tous en tête le tableau voyageur contemplant une mer de nuages de Friedrich où l’énigmatique homme en noir contemple la barrière de montagne à la lisière des cieux. Voilà pour les principales caractéristiques. Bien sûr, il faudrait consacrer une étude complète à cet ouvrage avec citations à l’appui pour en saisir la nature exacte, toutefois, nous allons voir d’autres exemples bien plus connus pour illustrer les propos ci-dessus.
Mais ceci n’est Mais ceci n’est pas que l’affaire d’une seule et même personne. À cette époque en Angleterre, on observe la naissance simultanée du Graveyard School of Poetry, groupe de 18 poètes, parlant de la mort dans des élégies sans que celles-ci ne soient destinées à être lues à la suite d’un décès. L’imagerie utilisée par les poètes veut que l’émotion, les valeurs morales et psychologiques priment avant tout. La mort devient un fantasme, d’autant plus qu’à cette époque, dans l’Angleterre des années 1840/50, les cimetières de ville sont supprimés pour créer des cimetières en extérieur, loin des vivants. L’imaginaire se met alors en branle et les morts qui sortent des tombeaux le jour du Jugement dernier n’est pas très loin, puisque les auteurs sont chrétiens en majorité.
Toutes les bases sont réunies pour permettrent au XIXème de cimenter sa propre vision de l’homme inscrit dans les premières révolutions industrielles tout en gardant une mise en scène digne de la noirceur d’un Mark Akenside ou d’un William Mason, pour n’en citer que deux.

1 Ce sont ces mêmes pays qui inspireront “romantiques” et… Victor Hugo. L’Orient sera un thème très largement utilisé au XIXème par de nombreux artistes tels que Baudelaire tandis que Hugo se chargera d’écrire les Orientales. Le peintre Delacroix honorera également cet amour pour ces contrées lointaines perdues dans l’encens avec Les ruines de Missolonghi où l’allégorie de la Grèce se trouve revêtue d’habits orientaux. L’Italie avec notamment Michel-Ange et Caravage n’aura de cesse de les influencer tandis que Hugo s’entichera de l’Espagne : « Mont d’Aragon, Galice, Estramadoure ! Oh ! Je porte malheur à tout ce qui m’entoure ! » Hernani.

Le Romantisme Noir à travers la littérature du XIXème siècle

Cette partie ne sera qu’une ballade parmi la littérature la plus connue du XIXème où le Romantisme noir sera mis en avant. Quelques citations et extraits de textes viendront compléter cette partie qui se veut surtout poétique.
L’atmosphère, les lieux sombres, inquiétants mais d’une profondeur solennelle, d’une crainte conduisant le badaud au respect tel que les ruines, les églises, les cimetières sont utilisés et réutilisés dans le roman dit gothique. Le sentiment d’errance, de vagabondage à l’image d’un Ruy Blas, tourmenté par l’amour et éconduit à la suite du meurtre de Don Saluste, est un phénomène récurrent. Michelangelo Merisi dit le Caravage était très apprécié des “romantiques” pour ses épopées à travers l’Italie, le caractère romanesque de ses frasques (assassinat sous le coup de la colère), son exode et sa mort (qu’on imagine) sur une plage. C’est ce genre de caractère qui fascina les écrivains de l’époque. L’âme tourmentée, en proie aux amours impossibles ou confrontée à des morts atroces et injustes, la passion prime avant la raison. Le roman ou le drame se veut social, mettant le peuple en avant et s’inscrit dans le contexte de l’époque où la tyrannie vaincue de 1789, la tyrannie de la bourgeoisie, la tyrannie de ses pairs et des pères comme dans le Château d’Orantre est réduite à néant. Victor Hugo ira jusqu’à dire que « la poésie ait la même devise que la politique : TOLÉRANCE ET LIBERTÉ ». (Préface d’Hernani, 1833)
En France, les premiers ouvrages gothiques furent ceux de Willian Beckford avec Vathek et le Manuscrit trouvé à Saragosse de Jan Potocki. Les auteurs du roman gothique utilisent toujours les mêmes péripéties de vie : viol, inceste, meurtre, vengeance, rêve jusqu’à glisser naturellement vers le fantastique, genre qui vit le jour avec le roman gothique. Mais pourquoi fait-on souvent le rapprochement entre roman gothique et fantastique ? Le fantastique permet au narrateur de construire son intrigue sur des thèmes noirs tout en y rajoutant des éléments fantasques mais surtout fantasmagoriques. Les romans, surtout proposés à la petite et moyenne bourgeoisie, devaient permettre au lecteur de réaliser une véritable introspection de lui-même par rapport aux personnages représentés. C’est le siècle où l’on apprend à se découvrir, à découvrir ses facettes plus ou moins obscures, où l’on se différencie de l’autre, de l’Autre. C’est avec ce siècle qu’apparaît, chez les anthropologues, “la notion de race”. Siècle où l’on mesure, par exemple, les périmètres crâniens pour déterminer si notre crâne n’a pas le profil des tueurs, des psychopathes, de ceux qui commettent des excès en tout genre ! Mais ne laissons pas Gobineau et compagnie interférer dans nos propos !
Les fameuses oeuvres de Lewis ou de Radcliffe parviennent jusqu’à la France sans toutefois faire réellement pulluler le genre ni même imposer son propre style : les Français empruntent le genre du gothique anglais, certains se trouvent en droit de dire qu’ils en sont les héritiers directs.
Et le fantastique dans tous ça, ce genre littéraire né des veines du roman gothique ? Il est arrivé avec Poe (1809-1849), avec Lovecraft, chacun nourrissant un style que l’époque surnommait de gothique victorien ou de néo-gothique. Un style où se mêle l’étrange, le malaise, un fantastique habile où l’on nage entre nos rêves, nos chimères, nos fantasmes et le doux sentiment de frayeur que l’on ne veut pas quitter. Baudelaire (symboliste) n’a t-il pas dit de Poe et de ses Histoires Extraordinaires : « Edgar Poe aime à agiter ses figures sur des fonds violâtres et verdâtres où se révèlent la phosphorescence de la pourriture et la senteur de forage. »
Mais observons la prose de Poe ; Morceau choisi :
« La Mort Rouge avait pendant longtemps dépeuplé la contrée. Jamais peste ne fut si fatale, si horrible. Son avatar, c’était le sang, - la rougeur et la hideur du sang. C’étaient des douleurs aiguës, un vertige soudain, et puis un suintement abondant par les pores, et la dissolution de l’être. Des taches pourpres sur le corps, et spécialement sur le visage de la victime, la mettaient au ban de l’humanité, et lui fermaient tout secours [...] ». Des camaïeux de rouges, de noir, la description de la peste se fait tout en couleur et la maladie se retrouve personnifiée. On rentre dans l’horreur avec une certaine complaisance, et on glisse sur ces mots au même titre que le bataillon de larves grouillantes qui viendront prendre possession du corps. Ce corps qui révulse et fascine, ce corps qui pourrait être le nôtre, ce miroir qu’est l’Autre. Et à côté de cela, l’Assassinat de deux femmes dans la Rue Morgue, toujours de Poe, sans aucun indice, les issues de leur appartement étant condamnées de l’intérieur. Le Mal rode toujours, invisible, mystérieux. Il est chimère, intriguant.
Mais le fantastique n’est pas là que pour faire peur mais aussi donner une contenance à une possible vie après la mort. Qui n’a jamais frémit ou versé une larme sur l’histoire de La morte amoureuse de Gauthier. Pauvre Clarimonde réduite à l’état de cendre et d’os calcinés par le prêtre Sérapion alors qu’elle fut découverte dans son tombeau, une goutte de sang perlant au coin de ses lèvres :
« Et de sa bouche de morte, sous le portail de l’Eglise, sorti des mots d’un romantisme exacerbé à l’intention de Romuald, son amant de curé : […] N’étais-tu pas heureux ? et que t’avais-je fait, pour violer ma tombe et mettre à nu les misères de mon néant ? Toute communication entre nos âmes et nos corps est rompue désormais. Adieu, tu me regretteras. » Aujourd’hui, l’on peut considérer que le XXème siècle n’aura pas fait naître de personnages clefs et fantasque comme un Dracula ou une Carmilla, hormis Anne Rice et son Lestat ou encore Lovecraft au début de ce siècle…

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