dimanche 16 décembre 2007

Lève ton nez

William est enfant unique. Ses parents, Jonathan et son épouse Miranda le désiraient plus que tout. Deux fausses couches le précédaient déjà alors qu'il atteignait son quatrième mois d'existence dans le ventre de sa mère. Les futurs parents craignaient un nouvel échec. Suite aux complications antérieures, Miranda avait été suivie de près durant toute sa grossesse, une infirmière résidait même chez eux, s'occupant des piqures quotidiennes et des soins parallèles indispensables à l'état particulier de sa patiente. L'affaire roulait, puis au septième mois le petit polichinelle décida de sortir plus tôt que prévu. Et il sortit tout à fait bien, il se présenta facilement au monde, sans faire de résistance, et l'accouchement fut très rapide. "Celui là, c'est un rapide!". Apparemment le médecin avait dit ça comme s'il s'agissait d'une bonne chose que de naître avant terme. Les infirmières, elles, rigolaient derrière leurs dents. Si ces dames riaient tout en restant dissimulées derrière leur bienséance et leur professionnalisme, c'était pour éviter de prendre une rouste. Le médecin, celui là même qui venait d'assister Miranda pendant son accouchement, était connu pour être un Don Juan né. "Celui là c'est un rapide" était la phrase que le médecin avait prononcé le jour de sa propre naissance. Comme William, il était né prématurément, et plus tard il était devenu l'un des plus grands coureurs de jupons qui existent sur Terre. Toujours quelques mots de flatteries en réserve, il était inépuisable dans l'art de séduire ses dames. Avec lui, une proie devenait vite une victime, victime d'avoir plié sous les assauts de ce fin et élégant carnassier. Selon la légende de l'hôpital Saint Marne, celui qui naissait avant l'heure et sous les yeux du fameux médecin ne pourrait être qu'un indéniable séducteur une fois capable de se tenir sur ses jambes et de manier la prose. Une malédiction paraît-il, un sujet de rigolade surtout. William semble avoir souffert de la sentence plus qu'il n'aurait fallu, car il était là plus privé de panache et de verve séductrice que n'importe qui. Prendre la relève de Monsieur le Don Juan semblait impossible. J'ai bien dit "semblait".

William a huit ans maintenant. Grâce aux efforts répétés de ses parents et au chèque envoyé par le père de ce dernier, il a pu intégrer une école spécialisée dès ses quatre ans. Là-bas, la gestuelle fait la belle part à l'expression artistique, au langage du corps. L'enfant doit pouvoir s'exprimer sans souffrir de la frustration du manque de connexion au monde. La plupart des enfants autistes sont incapables de se concentrer sur ce que fait ou ce que dit quelqu'un. Il ne peut pas toujours fixer son attention sur ce que lui disent les personnes qui l'entourent. Il n'arrive pas à dialoguer ou alors par procuration et c'est la papier sur lequel il a dessiné quelque chose qui sert de support à sa pensée, c'est aussi la musique qu'il compose maladroitement sur une guitare qui trainait dans un coin, tout devient Art, comme tout devient sujet de l'expression de l'enfant. Une boite d'allumettes comme un coussin ou un feutre peuvent l'aider à communiquer de ce qui trotte en lui. L'agitation qui possède les "autistes" vient du fait qu'il n'arrive pas à l'expulser en dialoguant avec les autres. Il leur faut donc des moyens pour évacuer le trop plein de fougue incomprise qui bouillonnent en eux. Cette école a été créé pour les aider à le faire, et pour leur trouver une place dans la société une fois adultes.

Dans sa chambre, William contemple souvent le plafond durant des demi-heures entières. Un après-midi, il l'avait tant regardé qu'il avait eu un torticolis et avait dû porter, à son grand désespoir, une minerve durant dix jours. Il avait horreur de ça et quand il y repense de temps en temps, il est alors pris de violents tremblements. Aujourd'hui, William continue néanmoins de regarder son large plafond blanc, parce que ça lui plaît, parce qu'il s'amuse comme un petit fou à faire ça. Ce qui se passe sur la moquette, il n'en a rien à faire car c'est là-haut que ça se passe. Les choses qu'il voit et imagine ne trouvent leur place et leur sens que projetées au dessus de sa tête, comme pour leur donner une grandeur qu'elles n'auraient pas eu si elles étaient restées plaquées au sol. Quant à les projeter sur les murs de la chambre, William trouvait que c'était nul,
"C'est nul si il y a une partie en haut et une partie en bas".
"Une partie de quoi, William?"
"Une partie du dessin ou du film que je vois. Il faut que ça soit à la même hauteur. Alors le plafond c'est mieux."
"Je comprends."
"Alors les films au cinéma pourquoi c'est pas comme ça?".
"Les gens s'endormiraient si on projetait les films au plafond ou alors ils attraperaient un torticolis, comme toi".
"Ah bon". Et William n'avait plus rien dit. Béatrice avait eu beau tenté de relancer la conversation, plus rien n'était sorti de sa bouche. William était de nouveau parti à la rencontre de son plafond.

Les mèches blondes tombant en arrière, les yeux grands ouverts sur le ciel de plâtre au dessus de lui, il n'arrive pas à comprendre pourquoi le cinéma se regarde différemment chez les autres. Chez lui, dans son cinéma à lui, tout est simple, les gens ont un toit de cinéma au dessus d'eux, et ça les protège de la pluie. Il est bien à l'abri, mais il ne sait pas pourquoi la pluie embête le reste du monde. Quand il pleut, les journées sont tristes pour les autres: le personnel et les camarades regardent le ciel en geignant et en râlant. Ils ne regardent le ciel que quand il pleut, ces idiots. Ils ne connaissent pas le ciel en images et en couleurs, ils ne veulent pas voir et personne ne veut regarder le plafond avec lui. "Mal au cou", disent-ils, mais William n'a pas mal, lui.
Le bambin est toujours couvert de bleus et chaque jour lui en offre de nouveaux. Il regarde trop en l'air.
"Monsieur a la tête dans les étoiles",
"Monsieur est constamment dans la lune",
"Monsieur rêvasse",
"Monsieur tombe...
et se relève".
"Monsieur n'est jamais fatigué, le nez en l'air".
"Monsieur veut voir tous les nez en l'air".
"Monsieur a envie de devenir réalisateur".
Oui, réalisateur et pas écrivain, car quand sa maman lui a lu "Anywhere out of the world", eh bien, il n'a pas aimé du tout. Plus tard, William connaîtra le succès, ses films plairont.

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