mercredi 4 février 2009

Aléatoire en mer

Domar se tenait sur le pont quand il entendit les bruits familiers, trop bien connus de vomissements étouffés. "Pauvre gosse" murmura t-il. Depuis deux jours l'activité principale de Samuel, mini-pouce de treize ans, était de rendre tout ce que ses malheureuses dents amenaient péniblement jusqu'à son estomac. Pour un premier voyage en mer, on ne peut pas remercier l'océan d'être compatissant. La houle, le vent, les vagues coléreuses ne cessent de faire danser le navire depuis son départ du port. En soi rien de bien grave, mais le gringalet de cuisine à défaut d'avoir le pied marin, a le pied valsant. Sa chorégraphie pataude, quand elle s'offre en pâture au spectacle des yeux plaisantards de l'équipage, recueille toujours un franc succès d'hilarité. C'était la récompense quotidienne du garçon à ses vaines tentatives de ne pas se vomir dessus. Il avait beau avoir peiné pour atteindre le pont et montré du courage aux travaux du matin, ils se moquaient toujours de lui. Des mécréants, des souillures, dont l'humour n'est pas plus subtil que la merde qu'ils larguent en mer. Qu'importe, chacun son bol de problèmes. Son but à lui est d'arriver à viser l'eau tout en essayant de ne pas se prendre ses déchets en pleine face. Une vague, un coup de vent et le petit homme se retrouverait peint en citrouille jaunâtre.

"Ah ça! Il est bien réglé au rythme du navire le p'tit! Aussi réglé qu'une montre, la sauce à chaque soulèvement du bâtiment. Synchro le p'tit!". Invariablement la même soupe de moqueries, invariablement la même coulée putride s'écoulant d'une tête baissée. Ce spectacle déjà vu a retardé Domar quelques instants. Il s'en étonne, car ce n'est pas dans ses habitudes de se faire observateur de la grande Misère et dans un haussement d'épaules il continue vers la cabine du capitaine, comme prévu. Mais la jeunesse doit attendrir, car quelques pas plus tard il se retourne doucement et sourit au gamin. Même s'il ne lui adresse pas la parole, il lui sourit chaque fois que leurs regards se croisent, c'est un rituel et dans l'humiliation un sourire chaleureux ne pouvait pas faire de mal au petit homme. Samuel s'attendait à ce geste humain et avait suivi le chemin de Domar du coin de l'oeil. Alors que Domar retourne à sa course dans un dernier tour de tête, Samuel lui rendit son sourire puis reposa sa tête sur son bras. De celui-là il sait qu'il n'a rien à craindre, peut-être même le protègera t-il un jour.

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