vendredi 20 mars 2009

Une Jeunesse

Elle est entrée chez Sinfonia. A cette heure-là, il y avait beaucoup de clients. Elle s'est glissée jusqu'au fond du magasin. Elle a choisi un disque et l'a donné au vendeur pour qu'il lui fasse écouter. Elle a attendu que l'une des cabines soit libre et elle s'est assise en fixant les deux petits écouteurs à ses oreilles. Un silence d'ouate. Elle a oublié l'agitation autour d'elle. Maintenant, elle se laisse envahir par la voix de la chanteuse et elle ferme les yeux. Elle rêve qu'un jour, elle ne marchera plus dans cette foule et dans ce vacarme qui l'étouffent. Un jour, elle parviendra à crever cet écran de bruit et d'indifférence et elle ne sera plus qu'une voix, une voix qui se détache avec netteté, comme celle qu'elle écoute en ce moment. ("Une jeunesse" de Patrick Modiano).

Me voilà de retour de La Rochelle, aujourd'hui neuf heures de train bordel, mais! deux jours de visites sous le grand soleil, la mer juste là, devant et autour de moi, et cette librairie sous les arcades dans laquelle je suis entrée et qu'une pile de livres a attiré vers moi. Une jeunesse de Patrick Modiano, toujours entendu parler, jamais lu, jusqu'à hier et c'est un de ces livres qui font de la lecture un événement, car ponctuel, surprenant et fort. D'autant plus marquant et rigolo de lire Une jeunesse et de retrouver au fil des pages un récit qu'on a soi-même entamé et qui ressemble beaucoup au récit de Modi. Ouais je me permets, lui et moi nous sommes intimes maintenant. Grand livre mais pas si long que ça, et alors? bien, que? quoi? que oui j'aime énormément. Il correspond à une période de vie très forte.

Et écrire des chroniques c'est le pied dans le caramel, c'est bon et ça vous aspire dessous, en dessous et ailleurs. Qui va interviewer Tal K Mas? qui? Et je ne dis pas tout, juste que je suis foutrement contente d'écrire, de zigouiller les oreilles (en douceur, elle sont déjà bien amochées, malheur). Et je commence à recevoir quelques packs promo at home de groupes qui veulent des chroniques de zik. J'adore, je me fends la gueule de plaisir, j'adore écrire la nuit, me passer les pistes en boucle pour nourrir Dame Inspi. J'adore oublier que la nuit c'est fait pour dormir. Je suis une daube en informatique et en mailing "Zip", "formatage" etc, et je m'en fous car je n'aime pas ça, ouais. J'adore lire Noise Mag alors que personne ne connait. J'adore ce mag et la musique qui tourne dedans. Je me plais foutrement dans mon monde musical et je me plais foutrement ailleurs, comme flâner à La Rochelle me l'a encore confirmé: j'aime être en mouvement constant, je préfère toujours être ailleurs qu'ici. Marcher vers les souvenirs qui resteront les plus forts.


L'air est frais, et dans les rues bondées de monde de cette fin de novembre, transpirent les souffles saccadés des promeneurs. Déjà les guirlandes s'allument, il est presque 17h30, et Céline marche seule au milieu des gens, n'ayant trouvé personne pour l'accompagner en ville, tous plongés dans leurs livres tandis qu'elle les délaisse, de plus exaltantes idées en tête. Amoureuse de la musique, elle cherche perpétuellement dans sa bande de psychoteux qui aurait envie de sortir et de profiter de la nuit, enceinte nébuleuse et sonore qui l'aspire en elle. Elle voudrait rejoindre ses entrailles, se perdre avec quelqu'un dans les rues tout en palabrant avec ferveur, mais l'appel reste vain. Les autres préfèrent étudier et se réfugier dans leurs appartements alors que Céline aimerait se perdre à l'excès dans les lieux underground de Mulhouse.

L'année avait si bien commencé, et voilà qu'elle regrette son groupe d'amis qui pas plus étoffé que quatre comparses faisait bouger le monde en tout sens. A eux sorties concerts et discussions, à eux engagement social pour qui Céline se faisait un plaisir de réunir de nouveaux adhérents. Quand faire partie de l'Astrange et de l'assos Rock them all faisait son pain quotidien de rencontres et d'échanges. Sa promo lui semble maintenant si fade derrière le voile des premiers contacts, un simulacre de vie, et elle s'ennuie tellement de ses proches qu'elle ne trouve plus que la musique pour combler le vide. Perdue dans les rues elle retrouve finalement le sourire en tombant sur une enceinte familière, Bassorock, lieu divin entre tous qui lui permettrait peut-être de trouver son bonheur. Au delà d'une porte en bois se trouvait le reste d'elle-même, ces composants nécessaires à la réalisation finale de soi, ce qui depuis des années restait encore inatteignable. Au delà de cette porte en bois, Céline trouverait sûrement les deux albums de Deftones qui lui manquait. Le seuil dépassé, couvert de son ombre décalée, le rayon metal et indus lui apparut clairement, visible par delà l'enseigne rock français au rayon bondé d'adolescents. Se faisant discrète et tâchant de ne bousculer personne, elle traversa la rayon pour rejoindre celui de sa quête. Plusieurs hommes dont deux barbus typiquement metalleux y étaient déjà, et Céline répondit à leurs sourires avec une chaleur qui l'étonna. Son besoin des autres lui faisait une nouvelle fois figure de conscience sociale, comme bien des fois le vide qu'elle éprouvait la poussait à embrasser d'illustres inconnus et à finir captive de leurs bras féroces pour se laisser faire, n'ayant plus l'énergie de renoncer aux feintes de son désir comédien. L'un des hommes ressemblait beaucoup à son dernier copain, brun, les cheveux mi-longs, la caricature du fan de metal. Sa veste en cuir, la boucle d'oreille lourde en argent qui pendait à son oreille droite lui rappelait les moments d'intimité aujourd'hui révolus. Elle sortit de sa rêverie et s'échappa du regard étranger. Elle s'éloigna au bout du rayon pour, en complète contradiction avec son but initial, se laisser flâner à loisir devant les étalages de disques. Sans autre mission que l'errance, elle se gorgea des étagères avec une faim incommensurable de découvrir quelque chose, quelque son brute et épais. Les rayons sombres ne lui donnèrent pas satisfaction. Le bois de la pièce, l'atmosphère lourde qui s'en dégageait, emplit Céline d'une joie tacite, entre elle-même et pour elle seule.

La jeune femme s'appuie devant le rayon surchargé de nombreux albums d'Iron Maiden.

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